Entretien avec Yves Allier, Capitaine sur thoniers senneurs.

Capitaine, travaille sur un thonier senneur dans l’océan indien, thon albacore et thon obèse


Je pratique la pêche au thon avec les mêmes techniques de pêche qu’en Méditerranée, c’est-à-dire la senne tournante, mais moi c’est seulement en milieu tropical océanique, dans l’Ocean indien en particulier.
J’ai toujours été pêcheur Océanique. Et on ne pêche pas le thon rouge.
On pêche des espèces destinées à la conserve, l’albacore et le listao.

Et il y a une raison pour laquelle vous ne pêchez pas le thon rouge ?

Oui parce que le thon rouge son habitat c’est principalement la Méditerranée, et l’Atlantique Nord, et aussi le Sud de l’Ocean Indien, au niveau de l’Afrique du Sud, de la Nouvelle Zélande et de l’Australie. Nous ne fréquentons pas ces eaux là, donc on ne pêche pas ce thon là. On pêche d’autres espèces équatoriales, intertropicales.

On m’avait dit que vous étiez dans le thon rouge ?

Non je ne pêche pas le thon rouge. Il y a plusieurs espèces le tunnus tunnus, qui est le plus apprécié des asiatiques. C’est pour ça qu’il est très convoité, parce qu’il est acheté à un très bon prix. Ensuite il y a l’albacore qui est surtout destiné à la conserve, très bon poisson aussi. Celui-là il y a un peu de menace dessus ça dépend des avis scientifiques, lui il est dans toute la zone tropicale dans les 3 océans.

Est-ce que vous êtes en contact avec des pêcheurs qui pêchent de la même manière que vous mais le thon rouge ?

J’en ai connu plusieurs parce que c’est un petit monde.

A une époque, les pêcheurs de thon rouge sont venus, confronter leur techniques aux nôtres. Et nous on a des bateaux plus gros, plus importants, et ils ont adapté leurs techniques ancestrales à la modernité, et ils ont construit leurs bateaux dans les mêmes chantiers que nous c’est à dire en Bretagne. Certains d’entre eux se sont agrandis, vu le succès de leur pêcherie en venant nous espionner si on veut, et fabriquer leurs bateaux dans les chantiers de Concarneau.

Un des points que nous étudions c’est l’avis scientifique, alors même si vous n’êtes pas dans le thon rouge, vous êtes confrontés au même type de calcul. Il y a un indicateur le MSY, qui sert à calculer les quotas. Est-ce que vous aussi vous êtes soumis aux quotas ? Quel est votre rapport avec le monde scientifique ?

Nos rapports sont très étroits, avec le milieu scientifique du thon.
Depuis plusieurs années les scientifiques ont fait des grandes campagnes de marquage, ce sont des travaux qui durent sur des années. Ensuite des commissions par Océan se réunissent avec les scientifiques. C’est bien sûr plus ou moins suivi, car c’est dur à une échelle mondiale de réglementer toutes les pêcheries. Et nous pour nos prises on a pas de quotas jusqu’à présent. Parce que les espèces n’étaient pas estimées menacées. Mais il est très probable que ça s’installe dans les années à venir.

Et s’il devait y avoir des quotas, quel serait votre avis ? Pensez vous que les pêcheurs ont une meilleure connaissance du terrain ?

On peut dire ça. On a une connaissance, car on est 12 mois sur 12 sur la mer, les bateaux sont tout le temps sur la mer et savent évaluer avec l’expérience. Maintenant il faut que cela soit complémentaire, le travail des pêcheurs et des scientifiques. Dans le cas du thon rouge les gens se sont opposés, et n’ont pas réussi à trouver de terrain d’entente et tout ça parce que le thon rouge il sort aussi de Méditerranée et il peut être abondant dans l’Atlantique, et les études qui se cantonnent à la seule Méditerranée, ne suffisent pas à évaluer le vrai niveau du stock de thon. C’est pour ça qu’il y a peut-être des doutes sur les résultats donnés par les scientifiques et par les grosses organisations.

J’ai le doute quant à ce qu’on dit du thon rouge.

Alors vous nous dites que l’Albacore et le Listao risquent de suivre le même chemin que le thon rouge ?

Non, il y a moins de bateaux qu’auparavant. C’est plus dur d’assurer une rentabilité. Car notre thon à nous est vendu beaucoup moins cher que le thon rouge. Donc la flottille française et espagnole qui pêche dans l’Océan indien a diminué. Les progrès techniques sont tels que nous sommes plus efficaces qu’auparavant. On a pas de quotas mais on doit prendre des licences dans les pays où on travaille.Certains pays comme les Maldives ont fermé leurs eaux. Et quand on pas de licence, on a pas le droit de pénétrer ces eaux.

Dans la pêche internationale, ce que vous nous dites c’est que les bateaux sont suivis ?

Nous, en tous cas oui. Il y a un suivi avec le VMS (Vessel Monitoring System), qui est en permanence activé. Sinon on doit rendre des comptes et on risque de perdre nos licenses. Après ça dans certaines zones il y a des bateaux de pêche non contrôlés, mais c’est dans des zones de pêche plus reculées dans le grand sud, des bateaux qui font de la pêche illégale. Mais dans les eaux que nous fréquentons, on ne peut pas dire qu’il y ait de pêche illégale.

Mais vous pensez qu’il risque d’y avoir des quotas pour les autres thons ?

Oui, on parle de quotas pour l’espèce Albacore, qui est quand même une espèce d’une certaine valeur. Et pour une troisième espèce qui est le thon obèse, le patudo, très prisé des asiatiques, qui eux voudraient le protéger. On en parle depuis des années et ces commissions internationales ont du mal à mettre tout le monde d’accord.

Pensez vous que ça déboucherait sur une grande controverse, si on instituait des quotas pour tous les autres thons ?

Pas forcément, non. Je pense que ça serait raisonnable parce que le niveau d’exploitation quand même des trois océans atteint son plafond.

On a quand même une petite idée, une idée qui n’est pas trop loin d’une réalité, pour ce qui est des quantités disponibles. Et on peut aujourd’hui ce qu’on pouvait il y a 20 ans.

Donc vous vous trouvez ça normal qu’il y ait des quotas ?

Oui bien sûr, mais il faudrait quand même que les bateaux qu’on a construit et qui ne sont pas très vieux, puissent travailler compte tenu de ces quotas là. Que ce soit économiquement viable.

Moi je dis ça en tant que pêcheur, je ne suis pas armateur, pas propriétaire du bateau. Je pense que ça se dirigera vers un arrangement comme ça, enfin un compromis.

Vous devez connaître l’ICCAT ou la CICTA. Vos relations sont plutôt bonnes ou mauvaises avec cet organisme ?

Il y a l’ICCAT qui exerce dans l’Atlantique. Et l’Ocean Indien, et le pacifique ont leurs organismes. Donc trois organismes différents par Océans. Normalement les pêcheurs y sont présents. Pêcheurs, scientifiques et administratifs des différents pays concernés.

Quand il y a un problème c’est là qu’il y est exposé. On tombe souvent sur des consensus.
On a reproché à l’ICCAT d’être peu influente. Se réunissant tous les ans avec faste dans des villes à cocotiers et pour peu de résultats. Mais en fait je pense qu’ils font du boulot, et comme il s’agit que de recommandations, c’est suivi ou c’est pas suivi. Après il faut passer à la réglementation proprement dite. Et pour le thon rouge ça a été fait et ça a donné lieu à ces problèmes. Parce qu’il y a des gros intérêts économiques en jeu.

Le thon rouge c’est particulier quand même, c’est une poule aux œufs d’or. C’est une espèce à part…

Quelle est pour vous la différence fondamentale entre le thon rouge et d’autres espèces de thons ? Qu’est ce qui le rend si spécifique comme poisson ?

C’est surtout le prix que les gens en donnent.
Moi je connais aussi le thon blanc, c’est ce que j’ai commencé à pêcher dans l’Atlantique Nord.
Il est moins prisé parce qu’il est plus difficile à cuire, et demande à être valoriser, alors qu’il est abondant. C’est une quatrième espèce. L’albcore est un très bon poisson aussi. La particularité du thon rouge c’est d’avoir une teneur en graisse supérieure aux autres. Une bonne graisse, qui fait qu’il est très coté sur le littoral méditerranéen et au-delà en Asie. La mode de la consommation des sushis s’est étendue aux Etats Unis, Donc sa consommation a explosé dans les pays riches, donc la demande a été plus forte et le prix a monté. Son stock est sans doute pas le plus élevé des espèces de thonidés.
Il est relativement facile à capturer, alors du coup ça le rend d’autant plus fragile. Mais c’est ses qualités gustatives qui expliquent qu’il se retrouve en danger. Mais il n’y en a pas qu’en Méditerranée et c’est ça qu’il faut bien voir. Il y en a aussi en Atlantique, mais il est interdit à la pêche, parce que le quota est pris par les méditerranéens. Mais ça les scientifiques ne peuvent pas le dire, ils ne peuvent pas évaluer le stock de thon rouge qui se trouve en Atlantique. Ou s’ils le peuvent ça doit être très imprécis.

Nous avons lu quelques articles sur des stocks de thons congelés destinés à être vendu après les interdictions de pêche. Des personnes dans la pêche et dans la finance nous ont nié l’existence de tels stocks. Qu’en pensez vous ?

Il y a toujours eu des négociants qui ont fait ça. Il y a eu une crise dans notre pêcherie de thon en 1992 suite aux affaires des dauphins. On disait que la pêche au thon causait la mort de cétacés. C’était en partie vraie. Mais ça été très exploité pour provoquer une crise.
Il paraît que c’était même l’industrie du poulet aux Etats Unis qui avait monté ça en mayonnaise en insérant des petites pointes dans des films. Il y a un truc dans « L’arme fatale » où une gamine dit à son père, « Ne mange pas ça, il y a du thon dans ton sandwich, la pêche au thon tue tous les dauphins ». Nous on a eu une crise très dure alors qu’on avait jamais pêché un dauphin. C’était une pêcherie spécifique qui se trouvait au large de la Californie et qui a causé une crise mondiale de la pêche au thon. Alors des gens ont stocké et revendu avec profits. Ça ne serait qu’un éternel recommencement des histoires commerciales, on stock et on revend. C’est possible.

Il y a déjà du stock vivant dans des cages en Méditerranée. Je suis passé près de Malte en 1997 avec un thonier qui descendait vers l’Océan Indien, il n’y avait pas une cage. Je suis repassé en 2005, il y avait une vingtaine de cages, et des cages très très grandes, dans lesquelles sont mis des thons vivants. Il peut y avoir une quantité considérable de thons vivants, et c’est celui-là qui est le plus intéressant à la revente. Mais il y a sûrement des frigos plein de thon rouge pour essayer de faire du business.

Une dernière question avant de clôturer, est-ce que vous pourriez vous présenter ? Votre parcours et comment vous êtes arrivé à la pêche ?

Je suis d’une région de pêche, je m’appelle Yves Allier, j’ai 55 ans et je suis du Sud Finistère où la pêche a été très florissante, elle est maintenant en déclin. Il y a la surexploitation, il y a des tas de choses, le fait que le métier soit moins attractif, que des espèces aient été menacé, que des espèces soient moins bien gérées que d’autres. En tout cas c’est en déclin localement.

Mais moi j’ai connu l’époque où c’était en développement et c’était assez attirant et ça m’a permis de voyager pas mal en particulier dans l’Océan Indien. Je suis devenu capitaine en 1983. J’ai commandé depuis une vingtaine d’années, des thoniers océaniques qui font 80m à peu près. Et ça va sans doute durer encore quelques années.